Dispositif performatif de transformation de l’espace
« À la marge » est une proposition artistique et spatiale à destination des secondes 4 et 5 du Lycée Carcoüet. Elle questionne les modalités d’activation et de transformation du jardin – dont personne ne semble profiter, situé à l’interface du boulevard du Massacre, de l’amphithéâtre et du CDI. Cet espace en arrière-plan délimite une marge, un fossé entre la ville et le lycée. « À la marge » traite de cette question spatiale tout en abordant nos rapports singuliers ou collectifs à la marge ou aux pratiques non-conventionnelles. La marge nait d’une démarcation – une limite séparant deux entités, deux espaces (le dehors et le dedans, l’intime et l’ailleurs…).
Accompagnés au travers de trois pratiques artistiques distinctes, les collectifs d’élèves se sont mis en mouvement pour transformer le sol du jardin : lui donner de nouvelles limites, lui donner de nouveaux reliefs, lui donner de nouveaux points de vue.
Ces démarches artistiques complémentaires ont donné lieu à des créations spatiales et performatives dans le jardin du lycée. Vous découvrirez ici quelques témoignages de ces expériences vécues à l’automne 2021.
ALINE CARETTI et LUCILLE VINCHON pratiquent entre arts, architecture et pédagogie. Engagées dans des processus de création collective, elles créent des espaces à l’interface des groupes et individus habitant un territoire. Avec Tumulus, Aline et Lucille proposaient que les lycéens habitent le paysage, s’y déposent, y jouent. Elles s’intéressaient au rapport des lycéen.nes avec le sol du jardin. La terre peut-elle devenir un élément de mobilier : un banc, une table, une scène ?
JOHANNA ROCARD est artiste performeuse. Sa pratique s’articule autour des gestes et rituels qui lient les groupes humains. Avec semeuses, Johanna proposait de fleurir ce territoire végétal pour mieux l’ornementer et l’habiter. Le processus de dispersion des graines de fleurs, est pareil à une danse, la plinn – danse traditionnelle bretonne à usage agricole. Les élèves dansent pour préparer le terrain. Piétiné, le sol est propice à la plantation.
ÉLISE GUIHARD s’est formée à l’Ecole des Beaux-Arts de Rennes. Elle exerce à la fois l’activité d’artiste plasticienne et celle de médiatrice culturelle à Rennes. Avec le projet Sentiers, Élise proposait aux lycéen.nes de dessiner des chemins. Raccourcis ou chemins du désir, ces tracés pédestres offriraient une entrée dans cette étendue de pelouse et chorégraphieraient le déplacement des corps.
Le projet dans la presse : Ouest-France – Nantes Métropole – 11 octobre 2021
Sentiers
Je ressors content de ce projet. Cela m’a permis de découvrir un espace du lycée auquel je ne faisais pas attention. Ça nous a rappelé aussi que l’on pouvait profiter de la nature même dans le froid et en s’amusant.
Notre projet consistait à créer des sentiers qui se rejoignent pour se balader dans un espace qui était inoccupé. Au début, nous avons réalisé des plans stratégiques de ces différents sentiers. Élise nous a montré des peintures, des cartes, des plans, des œuvres. Nous avons réfléchi à la forme que pouvaient prendre ces chemins potentiels. Puis nous sommes passés à l’œuvre en divisant le chemin et le groupe en trois. Avec mon groupe, on a bien rigolé, on a fait des descentes en brouette.
On a fait des marquages au sol pour voir la forme en vrai et puis pour faciliter la construction. Après, nous avons creusé, bêché, désherbé… A la fin, nous avons déposé des copeaux en bois. Cela donne un aspect esthétique et plus agréable pour s’y promener. La construction a elle seule aura mis trois jours. J’ai bien aimé l’expérience malgré la difficulté à manier les équipements (râteau, pelle), j’ai bien aimé voir les sentiers progresser. J’emprunte certains chemins que les autres ont fait. C’était une semaine enrichissante. C’est la première fois que j’ai fait un cours en dehors d’une salle.
J’ai beaucoup aimé ce “stage”, c’était très intéressant d’apprendre à jardiner, à bêcher. Et ça m’a donné envie de faire du jardinage. Ce qui avait été assez dérangeant pendant la semaine, c’est quand il avait plu et les chemins avaient été un peu dégradés. Pour des personnes qui n’avaient jamais mis les pieds dans ce genre de “métier” ça peut être une belle découverte et donner envie de faire de meilleurs projets. Travailler dehors m’a plu, j’ai ressenti beaucoup de liberté.
Ce qui m’a manqué c’est la solidarité. Malheureusement, nos efforts ont presque été vains car personne n’utilise nos sentiers sauf celui qui mène au portail – le sentier à l’entrée. Celui-ci est souvent utilisé car il est plus rapide. Moi, je n’ai jamais vu personne utiliser les sentiers. Je trouve cela dommage que certains sentiers ne soient pas utilisés. On a creusé pendant une semaine pour qu’au final personne n’utilise ces chemins. C’est du temps perdu. Je pense qu’il aurait été préférable de ne pas mettre les copeaux de bois car au fil du temps ils ont été recouverts. Je pense que si on avait mis du goudron à la place ces chemins auraient été plus lisibles.
C’était un peu décevant de ne pas avoir le temps de faire tout ce qui était sur le plan. Il aurait peut-être fallu passer moins de temps sur le plan.
A la fin du projet je n’ai pas trouvé cet espace concluant, personne ne s’en est servi et il est recouvert par les feuilles. Après je comprends totalement que nous n’aurions pas pu faire mieux en une semaine, puis ce n’est pas un projet de professionnels mais d’amateurs…
Ce projet a été comme quelque chose hors du commun. C’était vraiment bien d’être avec ses camarades de classe mais de ne pas faire le travail habituel. Et puis le projet a servi à embellir le lycée…
Semeuses
Le but de ”à la marge” ? C’était d’aménager un espace sans rien du lycée.
Nous nous sommes organisés pour mettre au point trois projets que nous avons mis en commun. Mon atelier était consacré à la danse et à la “mode”. Nous n’étions qu’entre filles. Pendant une semaine, nous avons travaillé sur “la sorcière”, le “spectacle”, “les déguisements”, “les maquillages”, “les rituels”.
Le premier jour, on a appris à se connaître. Puis, nous avons créé une chorégraphie. C’était une nouvelle manière de travailler. On a pu exprimer les sentiments que l’on voulait dans la danse. L’ambiance était chaleureuse et on était en confiance avec Johanna, notre intervenante. Ce qui m’a marqué, ce sont les costumes que nous avons fabriqués pour la danse. Les tissus étaient magnifiques. Ça a permis aussi de parler de notre culture, des différents types de rites. Quand il y a des funérailles, par exemple en Afrique, on prépare à manger, on porte des costumes en pagnes africains, on danse… J’ai ramené un costume et un chapeau originaire de ma culture africaine. C’était une expérience très émouvante et la première pour moi depuis que je suis en France. Mais surtout on a fait ça à l’école et c’est ce qui m’a le plus surprise – pouvoir s’exprimer et être libre de faire selon ses choix.
Dans le jardin, on a dessiné un cercle au sol. On a enlevé une partie de l’herbe pour préparer le terrain. J’ai trouvé que les exercices d’entraînement autour du cercle, les deux jours avant le spectacle, étaient intéressants. On s’entraînait à planter des graines et des bulbes en dansant. Ca nous a appris beaucoup de choses. On a écouté les goûts musicaux des autres. J’ai beaucoup aimé danser car cela faisait plus d’un an que je n’avais pas dansé…
Vendredi, le dernier jour, nous nous sommes maquillées, déguisées puis nous sommes allées danser et planter les graines. On s’est réparti les tâches avec les filles. Un groupe semait les graines. Il y avait celles qui plantaient les bulbes et d’autres qui allumaient les fumigènes. Sur le cercle, nous avons fait la “fête”. Et un jour, des fleurs pousseraient à cet endroit-là.
Je crois que ça m’a permis de m’intégrer dans ma classe et de parler avec des personnes avec qui je n’aurais pas forcément parlé. J’ai appris à mieux connaître certaines personnes. Mélanger les deux classes, aussi, a permis de faire des rencontres. J’ai bien aimé le fait de les réunir. Je trouve que ça a beaucoup rapproché la classe, surtout entre les filles. J’aurais aimé que ça soit plus long.
Le fait qu’on ne soit pas en mode “cours”, assises derrière une chaise à prendre des notes, il faudrait que ce soit plus long dans le temps, c’est plus intéressant pour apprendre. C’était une expérience enrichissante qui a permis de travailler le dessin, la danse, le jardinage.
Au final, c’était beaucoup de préparation pour faire une chorégraphie – une prestation, très rapide. Mais on a appris beaucoup de choses. On a découvert d’autres cultures, des façons de jardiner, on a vu le stylisme ou la création de déguisements…
Tumulus
Durant une semaine, nous avons manié l’argile. Les deux premiers jours, en classe, nous nous sommes vraiment amusés en mélangeant l’argile en poudre avec de l’eau pour faire de l’argile solide et malléable. Nous avons créé des maquettes – ce qui nous a beaucoup plu. Les maquettes servaient à expliquer où nous voulions poser nos projets. On a utilisé différentes couleurs d’argiles (rouge, jaune et grise) pour faire des tests et créer une sorte de totem. À la fin de l’atelier, on a regardé le travail des autres, puis, nous avons mis en commun nos créations. L’idée c’était de construire différents bancs en argile dans le jardin inoccupé devant le lycée.
Le deuxième jour, l’après-midi on a commencé à creuser un cercle dans le sol. C’était très physique. À partir de la terre récupérée, on a construit un deuxième banc en mélangeant la terre à l’argile grise. Celui-ci on l’a appelé “la luna”. On mettait des mottes de terre – donnée par les groupes du “sentier” puis une couche du mélange avec l’argile. Une couche de terre, une couche d’argile et on lissait avec nos mains pour rendre le tout homogène. Et ainsi de suite… Les jours suivants, c’était épuisant ! On creusait des trous. On faisait la vaisselle… C’était exaspérant. Mais nous nous sommes vraiment bien amusés grâce à la bonne humeur de notre groupe. La musique nous a encouragés. Chaque matin, on commençait par un échauffement tous ensemble. Chacun son tour on proposait l’échauffement pour le groupe. Ça mettait une bonne ambiance.
Mercredi, le premier jour de mon arrivée au lycée, j’ai transporté des brouettes avec de la terre pour la mélanger à l’argile broyée. J’ai fait du mélange qui contient de la terre, de l’argile et de l’eau. Puis j’ai transporté le mélange pour le mettre juste à côté du “bretzel”- le troisième banc de nos créations. J’ai fait des aller-retours pour ramener des seaux d’eau aux autres pour qu’elles lissent l’argile. Et après avoir recouvert d’une couche de terre, on sautait dessus pour tasser. Le travail était dur mais en même temps c’était satisfaisant. On se disait que le projet va servir à des gens – notamment pour ceux qui ne mangent pas à la cantine. Comme il y a trop de monde à l’intérieur, ils pourraient s’asseoir ici…
À vrai dire, je pensais qu’on allait réaménager l’espace vert pour y installer des tables pour manger le midi. En même temps, nous avons fait plusieurs goûters dans le “cercle” – et d’ailleurs, j’en remercie les autres.
En fin de journée, le vendredi, j’ai bien aimé la bataille de boue. C’était super.
Durant une semaine, si c’était à refaire, j’aimerais bien que l’on fabrique des tables de pique-nique ou des endroits où l’on peut s’asseoir les jours où il fait beau et chaud.
Si cette activité devait être réorganisée, je le referais, mais j’aurais aimé mettre du mobilier dans cet espace comme des balançoires ou des tables pour manger le midi ou alors mettre un espace couvert pour se poser lorsqu’il pleut…